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Dossier thématique

Quelle connaissance et pour qui ?

Problèmes sociaux, production et usage social de connaissances scientifiques sur la maladie de Chagas en Argentine
What knowledge and for whom? Social problems, production and use of scientific knowledge on Chagas disease in Argentina
¿Qué conocimiento y para quién? Problemas sociales, producción y uso social de conocimientos científicos sobre la enfermedad de Chagas en Argentina
Pablo Kreimer et Juan Pablo Zabala
Traduction de Dominique Vinck

Résumés

Le présent article tente de comprendre les relations complexes qui existent entre l’émergence et la persistance de problèmes sociaux et le développement de connaissances scientifiques concernant ces problèmes. Nous présentons les réflexions et les données issues d’une recherche portant sur l’émergence de la maladie de Chagas en tant que problème social pertinent et sur les stratégies de production de connaissances pour aborder et résoudre ce problème, au cours du dernier demi-siècle en Argentine. Postulant que les « problèmes sociaux » n’émergent pas indépendamment des acteurs qui les formulent, il est intéressant de mettre en évidence le mode de construction historique de la maladie de Chagas en tant que problème, les prises de position de différents acteurs autour de la maladie, les actions qu’ils ont déployées et, en particulier, les stratégies de production de connaissances scientifiques y faisant face.

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Notes de la rédaction

Cet article est une version légèrement différente d’un texte initialement publié dans Kreimer. P. & Zabala, J.P. (2006), ¿Qué conocimiento y para quién? Problemas sociales, producción y uso social de conocimientos científicos sobre la enfermedad de Chagas en Argentina, Redes, 12(23), 49-72. Traduit de l’espagnol par Dominique Vinck et révisé par les auteurs.

Texte intégral

Introduction

Problème général

  • 1 Par exemple, le « Plan National Pluriannuel de Science et de Technologie 2000-2002 » argentin se pr (...)

1La population des pays d’Amérique latine est soumise à des problèmes sociaux, liés aux conditions de logement, de santé, d’accès aux aliments, d’environnement, de transport, d’accès aux biens symboliques et autres. La plupart des acteurs (pouvoirs publics, communautés académiques, organismes internationaux et organisations de la société civile) estiment que le développement et l’application de connaissances scientifiques peuvent contribuer à résoudre ces problèmes ou du moins à les alléger. Ceci apparaît dans l’insistance constante sur la notion de pertinence sociale des connaissances dans les plans des organismes de coordination et de gestion de la science et de la technologie1.

  • 2 En guise d’exemple, on peut consulter Vessuri (1983), Cueto (1989), Benchimol (1994), Arvanitis (19 (...)
  • 3 Voir, par exemple, Vessuri (1995), Arvanitis (1996b), Sutz (1996), Casas (2001), Vaccarezza et Zaba (...)

2En tenant compte de l’importance de la relation entre problèmes sociaux et production de connaissances scientifiques, des chercheurs du domaine des études sociales des sciences en Amérique latine ont développé des recherches sur deux thèmes importants. D’un côté, ils ont décrit les processus sociaux de production de connaissances2. D’un autre côté, depuis plusieurs années, ils se penchent sur l’usage social et économique des connaissances3. Ces recherches ont montré la nature des processus scientifiques et les mécanismes de l’appropriation sociale des connaissances par différents acteurs. Cependant, ces travaux ont considéré, en général, les problèmes sociaux comme des « données » qui n’ont pas besoin d’être problématisées, ni dans leur émergence ni dans leur relation avec les connaissances scientifiques réellement ou potentiellement utiles pour les résoudre.

3Le présent article s’efforce de saisir les relations complexes entre l’émergence et la persistance de problèmes sociaux et le développement de connaissances scientifiques se référant à ces problèmes. En Amérique latine, ce processus, comme dans d’autres contextes périphériques, présente des traits particuliers. Comme cela a déjà été démontré, un trait caractéristique des sciences dans les pays périphériques tient à la faible utilité effective (faible appropriation par d’autres acteurs) des connaissances scientifiques, en comparaison avec ce qui se passe dans les pays centraux, où les connaissances localement produites semblent engendrer des innovations, des améliorations de productivité, un bien-être de la population, une compétitivité globale ou des améliorations de l’environnement.

4Nous nous appuierons, dans cet article, sur une étude de l’émergence de la maladie de Chagas en tant que problème social pertinent qui porte sur les stratégies de production de connaissances, au cours du dernier demi-siècle en Argentine, pour approcher et résoudre ce problème. Dans la mesure où nous considérons que les « problèmes sociaux » n’émergent pas indépendamment des acteurs qui les thématisent, nous souhaitons mettre en évidence le mode de construction historique de la maladie de Chagas en tant que « problème », les prises de position de différents acteurs et les actions qu’ils déploient, notamment les stratégies de production de connaissances scientifiques.

La maladie de Chagas : maladie « invisible » et « de la pauvreté »

  • 4 Selon l’Institut National de Parasitologie. Cependant, il convient de préciser que ces données sont (...)
  • 5 Voir DNDI (Drugs for Neglected Diseases Initiative): https://dndi.org/

5Quelques données montrent l’importance du cas choisi. La maladie de Chagas, provoquée par le parasite Trypanosoma cruzi, affecte entre 18 et 25 millions de personnes en Amérique latine. Elle est actuellement reconnue comme la principale endémie de la région (OMS, 2000). En Argentine, les personnes infectées sont environ 2,5 millions (7,2 % de la population)4. Il s’agit essentiellement d’une « maladie de la pauvreté », puisque sa forme principale de contagion se produit via la vinchuca – sorte de punaise (insecte) – qui niche dans les murs et les plafonds des demeures rurales faites de brique crue et de paille où vit la population rurale la plus affectée des zones endémiques (Briceño Léon, 1990). En outre, le manque de symptômes externes, la discrimination au travail que subissent les personnes infectées et la pauvreté de la plupart des malades – en général des zones rurales – font de la maladie de Chagas une maladie négligée (neglected disease). Les laboratoires internationaux n’effectuent pas de Recherche et Développement destinée à la production de nouveaux médicaments parce qu’étant donné les caractéristiques du marché et l’effort de recherche nécessaire, cela ne semble pas rentable pour ces entreprises (Temri & Kreimer, 2007). De fait, la DNDI (Initiative pour des Médicaments contre les Maladies Négligées) – organisation internationale dont le siège est à Genève – a inclus la maladie de Chagas parmi les trois maladies les plus importantes ignorées par les producteurs de médicaments. Elle a lancé trois appels à projets pour le développement de médicaments destinés à son traitement5.

6En même temps, la maladie de Chagas reste un sujet récurrent de l’agenda public en Argentine. Elle a fait l’objet de divers programmes politiques depuis les années 1950. Des politiques publiques de santé, de contrôle épidémiologique, de recherche scientifique, de subsistance ont impulsé de multiples actions qui, bien qu’apparemment insuffisantes pour son éradication, ont accru la densité des acteurs sociaux qui gravitent autour de la maladie. En d’autres mots, elles ont transformé la maladie de Chagas en un problème public.

7En ce qui concerne la recherche scientifique, la maladie de Chagas dans ses divers aspects – maladie, agent pathogène et vecteur – est un sujet important de recherche, en particulier au cours des dernières décennies dans le domaine de la biologie moléculaire. Autour d’elle se rassemblent divers groupes issus de la prestigieuse tradition biomédicale et qui font partie de l’élite scientifique du pays. En Argentine et au Brésil, la recherche sur la maladie de Chagas a été considérée comme un « cas heureux de développement scientifique dans la périphérie » (Coutinho, 1999), car ces recherches ont bénéficié d’une grande reconnaissance de la communauté scientifique internationale en ce qui concerne leur pertinence et leur légitimité. Mais à la différence de Coutinho, nous considérons que ce « succès » doit être examiné d’une manière critique. En premier lieu, en ce qui concerne les relations entre les chercheurs locaux et leurs pairs sur la scène internationale. En effet, nous avons montré dans d’autres travaux que les agendas de recherche des groupes locaux sont généralement formulés en rapport avec les réseaux internationaux auxquels ils participent (Kreimer, 2006 ; Kreimer & Meyer, 2008). Cette participation leur octroie une visibilité internationale qu’ils investissent ensuite dans la construction de leur légitimité locale. Ce processus d’intégration ne se produit pas n’importe comment mais au sein d’un schéma de division du travail où les équipes locales développent des tâches à haut contenu technique mais de faible innovation conceptuelle. Pour décrire cela, nous utiliserons le concept d’intégration subordonnée (Kreimer, 1998 ; 2006), que nous reprendrons en fin d’article.

8Ainsi convient-il de se poser la question suivante : dans quelle mesure ce « succès scientifique » se traduit‑il en quelque chose de pertinent pour le problème social auquel il est originellement lié ? Dans quelle mesure acquiert-il une utilité sociale au‑delà de la légitimité que lui octroie la communauté académique ? Pour répondre à cette question, nous analyserons, en premier lieu, la relation entre l’émergence de problèmes sociaux et la production de connaissances qui leur sont associées. En deuxième lieu, nous parcourrons la trajectoire historique de la maladie de Chagas comme objet de connaissance scientifique et comme problème social, qui se manifeste par des dynamiques socio‑politiques, des pratiques de recherche et des modes de représentation et d’intervention qui conditionnent tant la forme du problème que les possibilités d’usage des connaissances scientifiques. Finalement, nous avancerons quelques réflexions sur les relations entre les besoins sociaux et la production de connaissances à partir des données issues de cette recherche.

9Cependant, nous devons présenter une approche capable d’intégrer la production de connaissances et les modalités de construction sociale « publique » du problème. Ce détour semble indispensable pour que l’étude et ses conclusions puissent être interprétées dans le cadre des considérations théoriques et méthodologiques qui lui ont donné lieu et pour améliorer la compréhension de ces processus.

La relation entre les problèmes sociaux et la production de connaissances scientifiques

10Comprendre les processus par lesquels les connaissances scientifiques acquièrent une utilité (sociale) qui excède la légitimité octroyée par la communauté scientifique est une question centrale pour les études sociales des sciences. Ils ont été abordés à partir de différentes perspectives. L’une d’elles, très commune, correspond à l’image de la science comme entreprise qui, dans certaines occasions, « se tourne » vers la demande sociale qui se présente avec des questions qui attendent d’être résolues. Cette volonté des scientifiques de « connecter » leurs pratiques à d’autres espaces de la société a donné lieu à de nombreuses études qui mettent en évidence les diverses dimensions de ces processus : l’intérêt économique, le compromis politique, la réponse à une opportunité de financement, les mécanismes de reproduction au sein des traditions de recherche de la communauté scientifique ou une transformation plus profonde des processus de production de connaissance.

  • 6 Notamment Gusfield (1981). Restivo (1988) est certainement parmi les critiques les plus explicites (...)

11Les études sociales des sciences, pour lesquelles trop souvent le social est « donné », ont partiellement laissé de côté les processus de formulation des demandes, c’est‑à‑dire la manière par laquelle certains sujets acquièrent le statut de « problème social » vers lequel il est possible (et légitime) de se tourner. Ainsi, les problèmes sociaux étaient traités comme « des données » dont il n’est pas nécessaire d’aborder la nature en sociologie de la connaissance. De plus, seuls quelques auteurs étudient le processus de conversion des besoins sociaux en « demandes » de connaissance ou en sujets qui peuvent être abordés par la recherche scientifique6.

12Nous avons, au contraire, adopté dans notre travail une perspective selon laquelle la production de connaissance scientifique participe à la définition et l’imposition de certains thèmes à l’agenda social. Si nous cherchons à comprendre de quelle manière les connaissances scientifiques deviennent utiles à la société, il ne suffit pas d’observer les pratiques de recherche orientées vers un problème social, une fois le thème installé, car comme l’affirment Shapin et Schaffer (1985), « les solutions aux problèmes de connaissance se trouvent aussi dans les solutions données aux problèmes sociaux et les différentes solutions de ces questions sociales entraînent des solutions pratiques différentes des problèmes de connaissance ».

13Un postulat théorique qui oriente notre travail consiste à considérer que l’émergence du problème social, les actions proposées à chaque période pour le résoudre et la décision d’affecter des ressources pour réaliser ces pratiques, sont le résultat des interactions entre acteurs sociaux qui se développent au sein des cadres institutionnels précis et qui façonnent leurs actions et leurs intérêts. Dès qu’un problème acquiert une visibilité et se transforme en objet public, il est traduit par une série de prises de position, par l’enrôlement d’autres acteurs (l’État en particulier), par la création de dispositifs institutionnels pour le traiter (programmes de contrôle du vecteur de la maladie, programmes d’aide aux malades, création d’instituts, plans d’appui à certains axes de recherche) et par des pratiques associées à ces dispositifs qui conditionnent, en même temps, le type de connaissance produite et leur usage possible.

  • 7 Comme nous l’avons déjà signalé plus là-haut, dans le cas de la maladie de Chagas, l’une des caract (...)

14Cette posture théorique est proche de celle de Pierre Bourdieu, qui a remarqué que « l’expression publique des besoins sociaux n’est qu’un euphémisme qui cache les intérêts privés (économiques) des entreprises ou des grands groupes industriels » (Bourdieu, 2004). Bien que cette affirmation puisse sembler exagérée et qu’il serait possible d’identifier d’autres intérêts que les seuls intérêts économiques privés, retenons l’idée que les besoins sociaux agissent comme un euphémisme mobilisé par des acteurs pour imposer leur propre point de vue sur l’objet en question7.

  • 8 Dans d’autres maladies, comme le Sida, les associations de malades ont joué un rôle essentiel tant (...)

15Cette mise au point est importante : l’idée même de « besoins sociaux » est problématique. Il convient alors de chercher comment les acteurs se disputent la tâche toujours difficile d’« établir qui a le droit légitime de parler “au nom des pauvres” » (Bourdieu, 2004). Les acteurs sociaux les plus défavorisés dans un contexte périphérique sont en même temps ceux qui ont les plus grandes difficultés à « exprimer » leurs besoins en termes de connaissances scientifiques (réelles ou potentielles). De fait, la population affectée par la maladie de Chagas (considérée comme une « maladie de la pauvreté ») ne s’est pas constituée en tant que groupe social pertinent du processus de lutte contre la maladie ; ses besoins sont toujours traduits par d’autres acteurs sociaux8. Ainsi, les acteurs directement affectés par la maladie sont ceux qui ont les moindres capacités de s’exprimer dans l’arène publique, alors que les laboratoires – publics et privés –, les médecins, les autorités sanitaires et, naturellement, les scientifiques, agissent dans les disputes publiques en fonction de leurs propres intérêts et avec des armes légitimes.

16De manière générale, on peut souligner trois modes d’expression des besoins sociaux dans l’espace public :

  1. Le plus souvent, c’est l’État qui exerce la représentation des « sans voix », en déterminant leurs besoins sociaux légitimes et, parmi ceux-ci, ceux qui sont susceptibles d’être traités par la recherche scientifique. Cependant, il ne s’agit pas de l’État comme « idéalisation de bien commun », mais d’un croisement entre une bureaucratie composée par des fonctionnaires et par les scientifiques qui, en tant que conseillers des pouvoirs publics, se convertissent en porte-parole de la communauté scientifique (ou d’une portion de celle-ci) ou des réseaux internationaux dans lesquels ils sont insérés.

  2. D’un autre côté, ce sont souvent les scientifiques eux-mêmes qui établissent, de manière rhétorique ou réelle, les « applications possibles » de leurs recherches, ce qui agit comme mécanisme de légitimation face aux agences de financement ou à d’autres acteurs. Dans ce type de justification, il y a toujours, explicitement ou implicitement, une identification (construction) des besoins sociaux qui légitime leurs recherches.

  3. En troisième lieu, et cela devient de nos jours plus important dans les pays périphériques, l’ensemble des organismes internationaux de financement établit une « liste de priorités sociales » comme condition à l’octroi de crédits pour la recherche scientifique. Le résultat est ainsi une « liste de sujets » qui doivent être abordés par la recherche.

17Par conséquent, pour une compréhension globale du problème, il convient de prendre également en compte les dynamiques sociales – où les scientifiques ne sont pas l’axe des disputes – et les stratégies des autres acteurs, y compris les pratiques de laboratoire qui mobilisent des ressources hétérogènes (matérielles et symboliques) et des alliés circonstanciels.

Autant d’acteurs, autant de modes d’intervention

  • 9 Selon Bijker, « les groupes sociaux pertinents ne voient pas simplement différents aspects d’un art (...)

18Pour rendre compte des représentations de différents acteurs et des diverses logiques et manières d’agir sur le problème, nous utilisons le principe de « flexibilité interprétative » : il nous impose de tenir compte des points de vue des divers acteurs et de faire varier notre propre point d’observation pour comprendre chacune des logiques à l’œuvre. De cette façon, la définition du degré d’urgence du problème n’est pas univoque ; ce sont les différentes interventions qui le définissent9. À leur tour, ces interventions s’appuient sur des représentations du problème qui trouvent leur origine à la fois dans les dimensions sociales et dans les aspects épistémiques de l’objet de la connaissance. Ainsi, les aspects sociaux et cognitifs du processus sont indissociables.

19En partant du concept de flexibilité interprétative qui a des conséquences théoriques et méthodologiques, nous avons identifié que la maladie de Chagas est traduite, à différents moments historiques, en plusieurs « objets ». Ces objets dépendent de « groupes sociaux pertinents » engagés dans la construction de la maladie de Chagas en tant que problème social et épistémique. L’identification de T. cruzi comme agent pathogène a été la première construction, avant même que l’existence de la maladie ne fût établie. Ainsi, trouve‑t‑on d’abord une période de « définition » de la maladie quand les principaux acteurs engagés ne forment qu’un petit groupe de scientifiques qui veulent montrer les liens entre un agent causal (pathogène) inconnu jusqu’alors et un ensemble de symptômes cliniques. Ensuite, nous avons identifié lors de la reconnaissance de la maladie de Chagas comme problème de santé publique de nouveaux acteurs qui participent dans ce processus : les pouvoirs publics. Ils introduisent de nouvelles interventions (notamment le contrôle épidémiologique), agissent dans des espaces institutionnels nouveaux et opèrent avec une nouvelle logique. Enfin, vers la décennie 1970, l’intérêt pour ce thème est repris par d’autres acteurs : c’est la communauté scientifique « académique » qui établit de nouvelles pratiques légitimes d’intervention sur la maladie liées à la recherche fondamentale, notamment en biologie moléculaire.

20Ce qui est important dans l’approche que nous proposons est qu’elle permet d’analyser, avec une même matrice, la production et l’usage des connaissances scientifiques et d’observer les trajectoires suivies par ces connaissances. Si nous postulons que l’usage des connaissances est le résultat de l’incorporation d’un savoir dans les pratiques habituelles d’un ensemble d’acteurs (qui les reproduisent d’une façon routinière, comme le signale Bourdieu, 2004), l’usage des connaissances scientifiques serait le résultat de l’existence d’une articulation sociocognitive capable d’intégrer ce savoir et de le réutiliser selon les besoins des acteurs concernés. Ainsi les recherches scientifiques sur la maladie de Chagas sont le résultat de l’incorporation effectuée par la communauté scientifique du « problème Chagas » dans l’agenda public (au moyen d’une active mobilisation de ressources politiques). Par la suite, la communauté scientifique, loin d’offrir une réponse passive au « problème social », co-construit simultanément le problème et les possibilités d’intervention.

Le social et le cognitif

21Bruno Latour note que « la pertinence d’un objet de recherche est précisément sa capacité à articuler, dans des associations de plus en plus étendues, un nombre toujours croissant d’acteurs » (Latour, 1995, p. 32). Pour cet auteur, la connaissance résulte de négociations permanentes entre les acteurs qui réussissent à imposer leur point de vue à leurs concurrents, en interagissant avec le monde naturel pour obtenir la fabrication d’un « fait » qui, une fois cristallisé en tant que tel, va masquer sa nature construite, c’est‑à‑dire les relations sociales qui lui ont donné naissance. Ainsi, il n’y aurait pas, selon Latour, d’objet pur, que ce soit comme construction sociale ou comme objet du monde naturel mais, dans tous les cas, des entités hybrides (hybridation de nature et de culture) (Latour, 1991, p. 69). Analysant le programme de recherche sur le traitement antidiphtérique de l’Institut Pasteur, Latour observe que

  • 10 Les italiques sont les nôtres. Si la position extrême d’auteurs comme Latour est difficile à accept (...)

il est impossible d’isoler la mise au point du sérum antidiphtérique et le travail de Roux de la modification des intérêts des médecins. […] Dans l’association entre l’Institut Pasteur, Roux, les médecins et le sérum antidiphtérique, il est le défi qui justifie le déplacement de la recherche (Latour, 1991, p. 30)10.

22Terry Shinn, en se basant sur Whitley, note avec raison que « la science ne constitue pas de bloc unique, homogène » mais est plutôt composée par une variété de « cultures scientifiques ». Ces cultures, sociales, organisationnelles et institutionnelles, « sont des arènes hétérogènes de distribution du travail et de recherche d’opportunités » (Shinn, 1999, p. 156). Ainsi, il existe des sous-cultures qui bien que fondées sur une organisation originellement disciplinaire, se maintiennent de manière relativement statique et définissent en leur sein un ensemble d’opérations fortement déterminées par les institutions (Shinn, 1999, p. 157).

23En partant des réflexions de Shinn, nous pouvons noter que ces organisations issues des pratiques scientifiques, interagissent nécessairement avec d’autres groupes d’intérêt, au sein de véritables « communautés transépistémiques » pour reprendre la formulation classique de Knorr‑Cetina (1999). C’est là que négociations et alliances semblent cruciales pour imposer le sens des objets en question. Ces processus ne se produisent pas dans des espaces fermés (comme les laboratoires ou les bureaux du gouvernement) mais dans ces espaces perméables à d’autres acteurs et à d’autres discours qui ainsi peuvent redéfinir « ce qui est en question ».

24Nous avons adopté cette perspective théorique et méthodologique pour l’étude de l’émergence et du développement de la maladie de Chagas en tant que problème social et en tant que problème de connaissance. Comme il ressort des paragraphes précédents, les dimensions proprement cognitives, comme la nature de la maladie et de ses symptômes, la physiologie du parasite et les modes d’infection des êtres humains, les conditions d’action du vecteur (la punaise ou « vinchuca ») sont indissociables des manières d’agir sur le problème de la part des médecins, des scientifiques, des autorités publiques et d’autres acteurs. Ou pour le dire autrement : l’analyse du problème social – les populations affectées ou le risque de contracter la maladie de Chagas – n’existe pas en dehors de la constellation d’acteurs et des institutions qui le représentent, le définissent, négocient et agissent sur son développement.

La trajectoire historique de la maladie de Chagas comme problème social et comme problème de connaissance

25Nous présentons ici l’évolution historique de la maladie de Chagas qui nous permet d’observer, dans le processus complexe de la production et de l’acceptation d’une connaissance scientifique, comment interviennent des acteurs hétérogènes (principalement scientifiques et fonctionnaires de l’État et des organismes internationaux), comment se produisent des déplacements en ce qui concerne les champs disciplinaires (de la protozoologie à la biologie moléculaire) et la portée, les dimensions et les caractéristiques du problème social.

Des « ranchos » aux laboratoires : découverte et redécouverte de la maladie de Chagas11

  • 11 Les « ranchos » sont les maisons rurales pauvres, faites de brique crue et de paille.

26La reconnaissance de la maladie de Chagas comme épidémie régionale est atypique dans l’histoire de la médecine. Contrairement à d’autres épidémies comme la fièvre jaune ou la tuberculose (Barnes, 1995 ; Coleman, 1982 ; Gilman, 1988) où les effets de la maladie sur les hommes et sur l’économie (Löwy, 2000) ont précédé l’intérêt des chercheurs, la maladie de Chagas surgit comme le résultat d’une pratique de « science normale » à l’intérieur de la protozoologie de l’époque : il fallait trouver une maladie pour l’associer au parasite (Benchimol & Teixeira, 1994).

27En 1909, Carlos Chagas, qui appartient à l’important Institut Manguinhos de Río de Janeiro, Brésil, a été envoyé en mission de contrôle de la malaria dans une zone rurale du centre du pays. Là, alerté par l’existence d’un insecte hématophage (le barbeiro appelé vinchuca en Argentine), Chagas découvre qu’il est porteur d’un trypanosome jusqu’alors inconnu (qui sera baptisé Trypanosoma cruzi en l’honneur de son maître et directeur de l’Institut, Oswaldo Cruz) et l’incorpore aussitôt dans le modèle des maladies tropicales : un agent causal, un vecteur transmetteur, une pathologie. Chagas a réalisé une description détaillée de la forme aiguë de la maladie, dans les cas où l’infection du parasite provoque une réaction dans l’organisme (fièvre, agrandissement de la rate et du foie, enflure du visage) qui peut provoquer jusqu’à la mort. Il l’a fait en rapportant des cas concrets de malades et en confirmant ces données avec des expériences de laboratoire dans lesquelles il reproduit ces processus chez des animaux inoculés par T. cruzi. Puis, il a associé les caractéristiques de l’étape chronique de la maladie – quand les personnes infectées ne manifestent pas les symptômes de l’étape aiguë ou que ces symptômes ont disparu – aux nombreux cas de goitre (hypertrophie de la glande thyroïde qui provoque un grossissement du cou) et de crétinisme qui étaient observés dans la zone. Il a identifié la pathologie comme thyroïdite parasitaire, qui sera rapidement connue sous le nom de maladie de Chagas (Delaporte, 1999).

  • 12 Entre autres, Chagas a gagné en 1912 le prix Schaudinn octroyé tous les quatre ans par l’Institut d (...)

28La découverte a été un événement dans la société brésilienne de l’époque. D’un côté, elle signifiait une reconnaissance scientifique de l’Institut Manguinhos dans le champ de la protozoologie, dominé jusqu’alors par l’école allemande à laquelle les scientifiques brésiliens étaient étroitement rattachés. Elle a rapporté à Chagas une reconnaissance scientifique et institutionnelle importante12. En même temps, dans la mesure où la maladie de Chagas s’associait au goitre et au crétinisme, endémique dans une bonne partie du Brésil, elle impliquait la reconnaissance d’un problème majeur de santé publique.

29Cependant, l’enthousiasme initial que suscitait la découverte déclina rapidement. En ce sens, un travail présenté par Rudolph Kraus (1919), directeur de l’Institut Bactériologique de Buenos Aires, fut fondamental ; il montrait que dans certaines régions du Nord argentin, malgré la permanence du parasite, le goitre n’était pas observé et les associations entre l’infection par le T. cruzi et les symptômes d’hyperthyroïdisme identifiés par Chagas étaient contestées. L’impossibilité de confirmer empiriquement les relations que Chagas avait établies (ce qui conduisit à des affrontements sévères dans le champ médical et de la santé publique brésilienne à propos de l’existence et l’importance de l’épidémie) provoqua une progressive baisse de l’intérêt porté à la maladie au cours des décennies suivantes, tant sur le plan de la politique sanitaire que scientifique (Coutinho, 1999 ; Kropf et al., 2003).

30L’histoire de la maladie s’est déplacée alors à d’autres espaces géographiques, d’autres acteurs et d’autres champs disciplinaires. En 1929, Salvador Mazza, médecin argentin spécialisé en bactériologie, est nommé directeur de la Mission des Études de Pathologie Régionale Argentine (MEPRA) à Jujuy (au Nord-Ouest de l’Argentine, près de la frontière avec la Bolivie) après trois ans de démarches soutenues par José Arce, chef de l’Institut de Clinique Chirurgicale de l’Hôpital National de Cliniques, sous la tutelle de l’Université du Buenos Aires. Outre la dépendance de l’Université du Buenos Aires, la MEPRA a compté depuis le début sur l’appui du gouverneur de la Province de Jujuy et des classes dominantes locales qui ont fait don d’une maison qui a servi de siège à la Mission. Son but principal était de déterminer l’étendue des diverses pathologies propres au Nord argentin, bien qu’il eût concentré rapidement la plupart de ses efforts sur la maladie de Chagas. Les recherches ont permis, au cours des dix-sept ans où Mazza était au service de la Mission, d’observer les hommes et les animaux de la zone infectés par le T. cruzi, l’infestation de la vinchuca (punaise) dans les demeures, ainsi que les caractéristiques de la forme chronique de la maladie, point crucial pour son identification. En ce sens, l’observation d’un œdème oculaire (connu comme « Syndrome de Romaña » en l’honneur du médecin – disciple de Mazza – qui l’a proposé) dans les diagnostics de patients infectés a été cruciale. Elle a constitué un élément fondamental pour établir un diagnostic rapide et une caractérisation clinique de la maladie dans sa phase aiguë et a permis l’établissement de nombreux cas qui ont mis fin aux doutes à propos de son extension (Delaporte, 1999).

  • 13 À la 9ème réunion de la Société argentine de Pathologie de 1935, 35 cas sont présentés et, pour 193 (...)

31Ainsi, l’identification de cas de maladie a connu une croissance exponentielle entre les années 1935 et 1940, en Argentine et au Brésil, où un groupe de l’Institut Oswaldo Cruz, situé à Lassance, auquel appartenait Evandro Chagas, fils de Carlos, avait continué la recherche sur le sujet13. L’étendue de la maladie de Chagas a été reconnue et elle s’est transformée de thyroïdite parasitaire (comme Chagas l’avait proposé) en trypanosomiase americana. Les principales recherches se sont alors déplacées vers le domaine de la clinique et plus spécialement de la cardiologie, ce qui a permis de déterminer, entre les années 1940 et 1950, que les principales caractéristiques de la pathologie étaient les lésions du cœur et de l’appareil digestif.

Des laboratoires aux bureaux : l’institutionnalisation de la maladie de Chagas comme problème social

32À partir de la fin des années 1940, la maladie a sauté les barrières du champ scientifique et s’est installée comme problème social autour duquel un important appareil institutionnel s’est développé : programmes de lutte contre le vecteur, et instituts de recherche et de technologie chargés de développer et de perfectionner les méthodes de diagnostic existantes.

33L’une des premières manifestations de l’importance prise par la maladie de Chagas en tant qu’objet de recherche a été la création, en 1942, de l’Institut de Médecine Régionale, dépendant de l’Université Nationale de Tucumán (puis de l’Université Nationale du Nord‑Est) assorti des « Missions » des provinces du Chaco (créées en 1945) et de Jujuy (en 1947). Cet institut a été dirigé, depuis sa fondation, par Cecilio Romaña, qui avait étroitement collaboré avec Salvador Mazza dans la MEPRA (dont il s’était ensuite séparé) et avec les enquêteurs de l’Institut Oswaldo Cruz au Brésil, relation qui a pesé fortement sur ses orientations scientifiques. Au cours de cette période, durant laquelle la MEPRA a été transférée à Buenos Aires puis fermée, diverses recherches se sont développées au sein de l’Institut de Tucumán. Elles ont permis une caractérisation plus précise des symptômes cliniques (en particulier, la description des premiers cas de syndromes megaviscéraux, peu étudiés en Argentine), des méthodes de diagnostic et de l’étendue épidémiologique de la maladie. C’est là que les premiers essais ont été réalisés sur l’efficacité de l’hexachlorocyclohexane, un insecticide capable de tuer la vinchuca, dont l’action venait d’être proposée par des essais réalisés au Brésil, et que Romaña connaissait grâce à ses relations avec ses collègues brésiliens.

  • 14 Non seulement Carrillo était originaire de Santiago del Estero, province à fort taux d’endémicité, (...)

34Les connaissances produites sur ces deux aspects, la recherche épidémiologique et les preuves de désinfection des demeures, ont été décisives dans le processus de constitution de la maladie de Chagas comme un problème social. Romaña a eu un rôle important dans ce processus. Lors de la Première Réunion Panaméricaine sur la maladie de Chagas, organisée par Romaña à Tucumán en 1949, ces résultats sur la viabilité du contrôle de la présence de vinchucas dans les maisons de la région furent discutés pour la première fois. À cette réunion, Ramón Carrillo, Premier ministre de l’Aide Sociale et de la Santé Publique du président Perón, fut invité ; il était, pour différentes raisons, sensible à ce sujet qui ne jouissait pas encore d’une grande reconnaissance14. L’une des conséquences de cette réunion de Tucumán fut la création, en 1950, du Comité de Direction pour les Recherches et la Prophylaxie sur la maladie de Chagas (Segura, 2000), auprès du Ministère de la Santé et dont la coordination fut confiée à Cecilio Romaña. Il s’agit de la première manifestation institutionnelle de la maladie de Chagas en tant que problème de santé publique, en dehors des instituts universitaires de recherche déjà mentionnés. C’était le début du processus par lequel la maladie allait acquérir le statut de « problème social national ». En 1951, sur la recommandation du Comité de Direction, le Service National de Prophylaxie et de Lutte contre la maladie de Chagas (SNPLECH) est créé. Il est également dirigé par Romaña qui, en 1953, fixe son siège à Buenos Aires. Dans le cadre de ces institutions, se mettent en place les actions de contrôle du vecteur (fumigations dans les maisons) et, simultanément, les recherches qui ont conduit à identifier un nombre croissant de malades en particulier avec les enquêtes épidémiologiques engagées par Mauricio Rosenbaum et José Cerisola à partir du début des années 1950 (Rosenbaum & Cerisola, 1953). Elles s’appuyaient sur des diagnostics d’infection par des outils électro‑cardiographiques qui rendaient ainsi possible la confirmation épidémiologique de la relation entre l’infection par le trypanosome et la myocardiopathie. Elles ont joué un rôle essentiel pour la reconnaissance de la maladie, surtout après qu’ont été détectés des cas chroniques dans lesquels malgré une faible présence du parasite dans le sang, les symptômes de la maladie sont observés au niveau cardiaque. De fait, jusqu’en 1946, année du transfert de la MEPRA à Buenos Aires, Mazza et ses collaborateurs avaient enregistré 1400 cas de maladie de Chagas dont 1100 avec preuve du parasite dans le sang (Sierra Iglesia, 1990). Grâce aux enquêtes réalisées par Rosenbaum et Cerisola, ces nombres furent augmentés et permirent d’estimer le nombre de personnes infectées à plusieurs centaines de milliers (Rosenbaum & Cerisola, 1953, 1957 et 1958).

  • 15 Sous-famille d’insectes hémiptères (punaises), dont 139 espèces sont des vecteurs potentiels du par (...)

35En 1957, Cerisola fut nommé directeur du premier laboratoire spécialisé sur la maladie de Chagas, dépendant du SNPLECH, où des recherches sur le trypanosome et diverses espèces de triatomines15 furent engagées. À l’issue d’une série de changements institutionnels, ce laboratoire devint l’actuel Institut National de Parasitologie « Mario Fatala Chabén » (en l’honneur d’un jeune médecin collaborateur de Cerisola mort après avoir été accidentellement infecté par le Trypanosoma cruzi en laboratoire), principale institution non universitaire dédiée à la recherche et au diagnostic de la maladie.

36À la même époque, à partir de 1958, une lutte systématique fut engagée contre le vecteur, lutte qui avait commencé quelques années plus tôt par des essais. Elle fut consolidée par la création du Programme National de Chagas en 1961, qui se poursuit jusqu’à ce jour. Malgré cette continuité dans le temps, les actions du Programme National de Chagas ne furent pas systématiques, en grande partie à cause des fonds qui lui furent alloués de manière irrégulière. Ces fonds ont été, jusqu’à présent, insuffisants pour soutenir une prévention durable (installations vétustes, manque de véhicules, de combustible et d’insecticides).

37Néanmoins, cette période fut marquée par un développement institutionnel autour de la maladie, qui n’aurait pas eu lieu sans la reconnaissance de l’importance de la maladie de Chagas en termes de santé publique.

Retour aux laboratoires : la biologie moléculaire entre en scène

38Parallèlement à la reconnaissance institutionnelle, nous assistons à un intérêt croissant de la part des chercheurs pour la maladie de Chagas, comme le montre la création, en 1970, de la Commission des Recherches Scientifiques sur Chagas à l’Université de Buenos Aires, dont la tâche consistait à organiser les recherches en biochimie, en microbiologie et en clinique médicale. Cependant, contrairement aux étapes précédentes où la majorité des recherches s’étaient développées dans le domaine de la médecine, à partir de la décennie 1970, le centre de gravité de la recherche se déplace vers la biologie. La recherche juxtapose ainsi l’étude des vecteurs, inaugurée dans les années soixante pour contrôler la maladie, à la biologie moléculaire qui, à partir des années 1980, prend le parasite comme objet d’étude avec l’objectif affiché de déboucher sur un vaccin. L’hégémonie des équipes de biologie moléculaire dans la recherche sur la maladie de Chagas se poursuit jusqu’à ce jour comme le montre la figure 1.

39Coutinho observe qu’au Brésil, « le succès des groupes de parasitologie moléculaire venait de leur capacité à attirer des ressources, de leurs caractéristiques institutionnelles et de leurs connexions internationales » (Coutinho, 1999). Un phénomène similaire eut lieu en Argentine, comme le montre Kreimer (sous presse) dans le cas des débuts de la biologie moléculaire. Sur le plan institutionnel, cette croissance fut pilotée par les groupes de chercheurs inscrits dans la tradition biomédicale, héritière des prix Nobel Houssay (1947) et Leloir (1970) qui avaient réussi une articulation solide et efficace avec la communauté internationale. Cette articulation passait par la formation de chercheurs à l’étranger et par des publications dans les revues internationales. Le prestige leur permit de capter des ressources matérielles stables, tant de la part des agences nationales qu’internationales. Sur le plan national, s’engagea un Programme National de Recherche sur des Maladies Endémiques, lancé en 1974, qui servit de stimulant à la recherche académique en biochimie et en biologie moléculaire sur Chagas.

  • 16 Intégration par une cellule d’un message d’origine extracellulaire.

40Il est nécessaire de souligner le caractère novateur de la biologie moléculaire en Argentine ; l’étude de T. cruzi a fait partie de cette nouvelle discipline. De fait, pratiquement tous les groupes prestigieux qui ont étudié le parasite, depuis la perspective de la biologie moléculaire et avec ses techniques, se sont formés à la Fondation Campomar, aujourd’hui Institut Leloir. Nous retrouvons parmi les pionniers des travaux sur T. cruzi des chercheurs qui appartiennent à la première génération des disciples de Leloir. L’un d’eux est Héctor Torres qui, au début des années 1980, a pris son autonomie vis-à-vis de Campomar pour fonder une autre institution emblématique, l’Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire (INGEBI). À sa fondation, se forment quelques groupes qui étudieront divers aspects de la maladie de Chagas, en particulier du parasite qui devient un modèle biologique important, stratégie centrale des groupes en question. C’est ainsi que Torres, par exemple, passe de l’étude de certains problèmes biochimiques à l’étude de la transduction de signaux16 chez T. cruzi.

  • 17 Parodi est revenu, quelques années après avoir travaillé à San Martin, à l’Institut Leloir où il pa (...)

41Armando Parodi est un autre chercheur emblématique sur le sujet. Quelques années après Torres et, comme lui, au sein de la Fondation Campomar durant les années 1980, il se consacra à l’étude de la glucosylation des protéines dans le cas de T. cruzi. Juan J. Cazzulo s’associa à ces travaux. Il constitua, avec Parodi, Carlos Frasch et Rodolfo Ugalde (tous formés à l’Institut Leloir), une autre institution « fille de Campomar » : l’Institut de Recherche Biotechnologique (IIB) de l’Université Nationale Général San Martin (UNSAM), au début des années 199017. Entre autres sujets, ils se consacrent à l’étude d’une enzyme (la transalidase) dans T. cruzi et à l’étude de la régulation de l’expression génétique dans ce même parasite.

42Parallèlement, quelques chercheurs formés à l’INGEBI travaillaient sur la maladie de Chagas, en particulier sur le trypanosome. Parmi eux, Mariano Levín fit preuve d’une grande continuité puisqu’il travaillait déjà depuis quelques années sur la structure et sur les fonctions des antigènes présents dans T. cruzi. En réalité, dans cette institution, T. cruzi occupa plusieurs chercheurs en plus de Torres et Levín comme Téllez de Iñon ou Mirtha Flawiá, si bien qu’ils constituèrent, comme dans le cas de l’IIB, une ligne de travail et une tradition bien insérées dans l’institution.

43Finalement, sur le plan international, la création, en 1975, du Programme Spécial de Recherche sur les Maladies Tropicales (TDR) de l’Organisation Mondiale de la Santé a été particulièrement importante. Elle s’est traduite par un appui fondamental à la consolidation des recherches en biologie moléculaire sur la maladie de Chagas, encore renforcé, en 1994, avec le lancement par le TDR du projet « Génome du Trypanosoma cruzi ». Ce programme, dans lequel interviennent vingt laboratoires en réseau, avait pour objectif le séquençage complet du génome du parasite, conduisant ainsi à la connaissance de la structure des molécules impliquées dans l’infection. Parmi les vingt laboratoires, trois sont argentins : l’IIB-UNSAM dirigé par Carlos Frasch, l’INGEBI dirigé par Mariano Levín et l’Institut National de Parasitologie “Mario Fatala Chabén”. Les autres laboratoires se répartissent de la manière suivante : neuf au Brésil, un au Venezuela, un aux États‑-Unis et sept en Europe (Allemagne, Espagne, France, Royaume‑Uni et Suède). L’objectif affiché est qu’à partir de l’information génétique, il soit possible d’identifier des cibles pour attaquer le parasite ; elles permettraient de développer des thérapies et/ou des actions de prévention (un vaccin, par exemple).

  • 18 En Argentine, les principaux chercheurs participant au projet correspondent au groupe de Charles Fr (...)

44Nous verrons que ces espoirs se présentent plutôt comme des ressources rhétoriques que comme des applications effectives pour la résolution du problème. Les recherches sont exclusivement fondamentales et aucun groupe de recherche n’a eu à ce jour les capacités nécessaires pour développer des médicaments18. Ainsi, la pertinence de la maladie de Chagas en tant que problème se limite aux canons de la science internationale.

Figure 1. Distribution des groupes de recherche, en Argentine en 2004, travaillant sur la maladie de Chagas en fonction du domaine de recherche.

Figure 1. Distribution des groupes de recherche, en Argentine en 2004, travaillant sur la maladie de Chagas en fonction du domaine de recherche.

Source : graphe établi à partir des données venant des Organismes de Promotion Scientifique et des Universités argentines.

  • 19 Le réseau créé autour de ce groupe inclut des groupes de l’Université de l’Illinois, du CDC aux Éta (...)

45En ce qui concerne la production de connaissances pour la lutte contre le vecteur, plusieurs groupes de recherche sont actifs : trois à l’Université de Buenos Aires, au Département d’Écologie, au Département de Génétique et d’Évolution et au Département de Biodiversité et Biologie Expérimentale ; un à l’Université Nationale de Córdoba et un au CITEFA (organisme de recherche de l’Armée). Le premier groupe, dirigé par Richard Gurtler, est le groupe de « Biologie des populations des insectes, pathogènes et vertébrés ». Spécialisé dans la bio-écologie, son axe principal de recherche a été, depuis le milieu des années 1980, l’étude de l’écologie des vecteurs de la maladie de Chagas au Nord de l’Argentine et plus spécialement dans les aires rurales de Santiago del Estero. Depuis ses origines, ses orientations de recherche le rapprochent d’autres chercheurs qui travaillent sur l’application de marqueurs moléculaires pour comprendre la « structure spatiale et temporelle de la population du parasite et du vecteur » et l’utilisation de technologies d’observation par satellite pour étudier le processus de transmission de l’infestation notamment19. Le deuxième groupe « Écologie des réservoirs et des vecteurs de parasites » est dirigé par María Cristina Wisnivesky. Il se concentre sur l’écologie des triatomines. Au cours de ces dernières années, il a toutefois modifié ses programmes de recherche et s’est éloigné du T. cruzi comme problème. Le troisième groupe de l’Université de Buenos Aires est le « Laboratoire de physiologie des insectes » (Biodiversité et Biologie expérimentale), dont le directeur est Claudio Lazzari. Ses recherches portent à la fois sur la physiologie et le comportement des vinchuca et sur la relation insecte-parasite. À l’Université Nationale de Córdoba, située dans une des provinces les plus affectées par la maladie, un groupe de la Faculté de Sciences Chimiques enquête sur la biochimie de la vinchuca ; il se concentre sur les processus qui conduisent l’insecte à consommer beaucoup d’énergie et sur la biochimie de l’interaction hôte-parasite. Ce groupe a ainsi étudié les mécanismes de vol et identifié les molécules qui interviennent dans le processus de transfert d’énergie aux muscles de vol. Finalement, un groupe de recherche du « Centre de recherche sur les épidémies et sur les insecticides » du CITEFA, se consacre au développement d’un pot fumigène insecticide d’application facile.

46Il faut souligner que les centres impliqués dans les recherches portant sur le vecteur (la vinchuca) ont, contrairement aux groupes qui se focalisent sur T. cruzi, une stratégie explicite de sortie des frontières du laboratoire. Ils se rattachent activement à d’autres acteurs. Cela tient, d’un côté, à leur insertion dans le champ disciplinaire de l’écologie, dont les frontières sont poreuses et dont les chercheurs sont habitués à entretenir des liens fréquents avec d’autres disciplines et, de l’autre côté, au caractère pratique de ces recherches où les essais de terrain sont au centre de la stratégie.

Une production scientifique importante et fortement spécialisée

47L’importance quantitative de la recherche ne se réfère pas seulement à la quantité de groupes qui travaillent sur le sujet mais aussi à la production d’articles publiés dans des revues internationales.

48Le tableau ci-dessous montre, à partir de trois bases de données bibliographiques internationales, les publications des chercheurs argentins – ou rattachés aux institutions argentines – pendant 10 années (1995-2005), dans les revues indexées.

Tableau 1 – Publications réalisées par des chercheurs argentins dans la période 1995-2005, selon la base de données

Base de données

Nombre d’articles cités

Science Citation Index

830

Medline

650

Biological Abstracts

170

Le nombre total peut être surestimé, à cause de la possible duplication d’articles dans les bases de données.

49Nous avons établi une classification des publications référencées par le Science Citation Index sur la maladie de Chagas en fonction des objets de référence cognitive : les malades, le parasite (agent causal), le vecteur (la vinchuca Triatoma infestans), les aspects liés à l’épidémiologie de la maladie comme la distribution spatiale…

Tableau 2 – Distribution des publications indexées dans le SCI réalisées par des chercheurs argentins dans la période 1995-2005, selon l’orientation thématique

Objet d’étude

Nombre d’articles

Pourcentage ( %)

Le parasite

415

50

Les malades

191

23

Le vecteur

183

22

Épidémiologie

33

4

Autres

8

1

Total

830

100

50La moitié des publications se rapportent au parasite (T. cruzi). Cela s’explique par deux raisons, déjà évoquées : la forte concentration de recherches en biologie moléculaire et en biochimie ; et les effets du Programme de séquençage du génome du parasite, impulsé par l’OMS-TDR. Par ailleurs, il convient de souligner qu’une bonne partie des chercheurs en biologie moléculaire ont pris le parasite non pas comme un objet mais comme modèle biologique pour l’étude de mécanismes biologiques particuliers qui s’observent dans ce type d’organisme. La relation de ces travaux avec la maladie de Chagas n’est, par conséquent, pas nécessairement problématisée (nous reviendrons sur ce point en conclusion). Si un quart environ de la production porte sur l’étude des malades, l’étude d’aspects fondamentaux de la maladie prédomine, alors que la recherche clinique occupe une part très peu significative. Cela est cohérent avec la répartition des recherches dans l’espace institutionnel : seule une petite portion se développe dans les hôpitaux et autres centres de santé.

Figure 2 – Publications des chercheurs argentins dans le SCI (1995-2005), selon l’orientation thématique

Figure 2 – Publications des chercheurs argentins dans le SCI (1995-2005), selon l’orientation thématique

Source : établi par Pablo Kreimer et Juan Pablo Zabala.

51Ainsi, nous constatons une forte supériorité de la recherche fondamentale dans l’ensemble des champs de connaissance impliqués. Les recherches se structurent selon quelques orientations sur différentes caractéristiques du parasite (mécanismes de reproduction, éléments impliqués dans l’interaction avec l’hôte, classification génétique des souches), des vecteurs (habitudes alimentaires, dynamique de reproduction, caractéristiques génétiques, morphologie) et de l’interaction entre le parasite et les mammifères (réponse immune de l’infecté, organe affecté). Les principaux produits de ces recherches sont les articles scientifiques, publiés dans des revues internationales. L’espace quasi exclusif de circulation et de diffusion de ces recherches est, par conséquent, la recherche académique. Cela implique une limitation dans la capacité de diffusion de ces connaissances, qui acquièrent un caractère endogamique, dans la mesure où leur compréhension requiert une compétence fortement spécialisée dont seuls les chercheurs disposent.

52De plus, nous constatons une forte implication des groupes de recherche académique dans les réseaux internationaux et simultanément de faibles relations avec des groupes locaux. Les groupes de recherche entretiennent des liens étroits avec la communauté internationale, surtout aux États‑Unis et en Europe. Une majorité de chercheurs participent à des réseaux internationaux et à des projets conjoints, financés par des agences internationales (NIH, OMS, Howard Hughes, Union européenne, etc.). En général, l’origine de ces liens remonte à l’époque de la formation à l’étranger, du directeur du groupe de recherche et se trouve renforcée par l’échange de nouvelles générations de chercheurs. Ces relations se traduisent dans des publications conjointes entre groupes nationaux et internationaux, sur des sujets qui semblent intéressants aux laboratoires des pays centraux.

53Il y a, en outre, d’autres formes de relations internationales et de coopération qui résultent des initiatives des chercheurs en fonction des besoins ponctuels de leur projet de recherche (équipement ou matériaux requis pour une recherche donnée) et de leurs affinités thématiques. Ce type de relations est plus fréquent avec les pays de la région (surtout le Brésil) et leur durée dans le temps est variable. Simultanément, les relations entre groupes de recherche au sein du pays sont rares, que ce soit entre groupes de recherche travaillant dans des domaines proches ou entre groupes relevant de champs de recherche différents. Différentes raisons permettent d’expliquer ce phénomène : dans certains cas, cela tient à des luttes de priorité entre groupes dans le même domaine de recherche ; dans d’autres cas, la faible connexion tient aux perspectives divergentes au sein de la recherche ; enfin, le manque de communication résulte de conflits personnels entre chercheurs qui se développent parallèlement l’un à l’autre. Ainsi, les relations entre groupes prennent la forme d’une compétition ou, tout au plus, d’une indifférence.

54Aussi, malgré le fort développement des recherches sur divers aspects du Trypanosoma cruzi et de la vinchuca, en particulier durant les deux dernières décennies, l’utilité effective des connaissances pour la résolution du problème social reste faible. En particulier, il n’y a eu aucun apport significatif concernant la production de vaccins, ou le remplacement des deux médicaments traditionnels utilisés pour le traitement de la maladie (benznidazol et nifurtimox, produits par les grands laboratoires industriels Roche et Bayer respectivement), ni, finalement, le développement de nouveaux médicaments susceptibles d’être introduits sur le marché.

55L’explication de ce phénomène ne tient pas à une seule cause. Sans doute, plusieurs facteurs contingents interviennent comme : le type de construction qu’ont engendré les acteurs à propos de la maladie, les conditions économiques, institutionnelles et politiques ou les différentes logiques d’action des acteurs (chercheurs impliqués dans la carrière académique, manque de reconnaissance professionnelle des médecins qui s’occupent de la maladie, manque de politique institutionnelle à long terme). Il est également nécessaire de prendre en compte un élément structurel, propre au développement de la science dans des contextes périphériques : le processus d’« intégration subordonnée » (Kreimer, 1999). Ce processus est évident dans le cas des scientifiques ayant travaillé sur la maladie de Chagas, puisqu’une logique de collaboration internationale et d’intégration avec les laboratoires de recherche situés dans le mainstream de la science internationale y a prévalu sur la recherche de traitements de la maladie. Du fait de cette intégration subordonnée, les programmes locaux de recherche étaient plus alignés sur des problèmes et des objets offrant une grande visibilité scientifique internationale que sur le développement de produits destinés à apporter une réponse aux problèmes locaux.

Conclusion : l’utilité de la connaissance en contexte périphérique

56Nous sommes partis du point de vue selon lequel l’utilité des connaissances scientifiques se comprend en relation aux processus de reconnaissance et de construction du problème social. Dans ces processus, apparaissent des conceptions distinctes sur des aspects essentiels de la maladie et des manières de la combattre, émergent des acteurs sociaux porteurs d’intérêts divers, et se développent des cadres institutionnels dans lesquels ces acteurs s’insèrent. Ainsi, l’articulation des divers acteurs (chercheurs de différentes disciplines et domaines, pouvoirs publics, médecins, malades, populations à risque, etc.) conditionne les processus de production et d’utilisation des connaissances scientifiques relatives à la maladie de Chagas. De manière réciproque, la production et l’usage des connaissances redéfinissent le problème social, les perceptions des acteurs et les manières d’intervenir sur la maladie.

57À partir des données empiriques, nous avons pu ordonner les types d’interventions sur la maladie. En effet, la production et l’usage des connaissances ont pris, historiquement, comme objet de recherche le vecteur (la vinchuca), l’agent causal (le Trypanosoma cruzi) ou l’hôte (les malades). En outre, la connaissance s’est centrée sur l’environnement, l’habitat et le social qui se mêlent aux autres approches. Nous pouvons ainsi formuler une typologie basée sur trois « modalités d’intervention », selon l’axe de problématisation de la maladie. Les mêmes acteurs apparaissent souvent dans plusieurs configurations, bien que leur manière d’agir dans chacune d’elles diffère significativement.

58De façon complémentaire, la reconstruction du processus de mise en forme de la maladie de Chagas en tant que problème scientifique et social, nous a permis de distinguer trois étapes qui correspondent à trois manières de concevoir le problème et les actions nécessaires (dont la recherche scientifique) pour son éradication. Ainsi, dans une première période, la maladie de Chagas surgit comme un problème de santé publique et sa reconnaissance est traversée par de nombreuses controverses scientifiques et politiques. Dans cette perspective, la production de connaissances scientifiques cliniques (médicales), destinées à décortiquer les effets du parasite sur l’organisme des malades est l’essentiel des actions envisagées.

59Dans la deuxième période, la maladie est reconnue comme « problème social national » et d’importantes structures institutionnelles se développent autour d’elle. L’éradication de la vinchuca en tant que vecteur de la maladie, à travers d’importantes campagnes de fumigation, est alors la principale action envisagée.

60Dans une troisième étape, le Chagas apparaît comme objet de recherche scientifique prioritaire avec le développement de plusieurs plans nationaux et internationaux, alors que se développe une importante communauté de recherche autour du sujet. Un déplacement important du centre d’intérêt s’est ainsi produit, en passant de l’insecte (vinchuca) aux parasites. La nouvelle impulsion se base sur le développement d’une communauté de biologistes moléculaires, en Argentine et au Brésil, qui s’est insérée avec succès dans la communauté internationale, à partir de travaux sur divers aspects génétiques et physiologique du T. cruzi.

61Ce phénomène peut être interprété en termes d’« intégration subordonnée » (Kreimer, 1999) : fréquemment, les jeunes et prestigieux chercheurs des pays périphériques effectuent des études dans un centre d’excellence situé dans un pays central. L’habitude est de leur assigner une recherche qui réponde à un « agenda » lié aux nécessités des sociétés locales. Quand ces jeunes chercheurs retournent dans leur pays d’origine, ils ont l’habitude de poursuivre les lignes de recherche dans lesquelles ils ont travaillé durant leur séjour à l’étranger. Il s’ensuit que les chercheurs des pays périphériques continuent de travailler dans des lignes de recherche qui s’inscrivent dans des programmes plus vastes, grâce à leurs hautes compétences techniques (en partie obtenues au cours de leur formation à l’étranger). Leur concentration dans une ligne précise de recherche leur permet de produire des connaissances pertinentes mais hyperspécialisées (au sein de la division du travail entre laboratoires du centre et de la périphérie), raison pour laquelle ils n’ont pas souvent accès à la perspective générale (théorique) des problèmes (Kreimer, 1998 et 1999).

62Deux conséquences générales pour les pays périphériques sont particulièrement visibles dans le cas de la recherche sur le Chagas en Argentine. La stratégie d’intégration subordonnée (qui domine dans les groupes d’élite au sein des communautés scientifiques des pays périphériques) a un aspect positif, du point de vue des groupes de recherche ; elle permet à ces équipes périphériques d’accéder aux financements et à d’autres ressources (équipements, etc.) internationales, auxquels ils pourraient difficilement accéder autrement (Hubert & Spivak, 2008, ce numéro).

63La deuxième conséquence de ce processus est que, dans la mesure où les groupes locaux de recherche construisent leurs programmes en les alignant fortement sur ce qui est dicté par la communauté scientifique internationale, ils produisent des connaissances qui, bien que dites « appliquées », ne sont pas en mesure d’engendrer des applications effectives, ni d’être appropriées par les acteurs sociaux externes à la communauté scientifique locale. Ce phénomène a été nommé – par dérision – la RANA (recherche applicable non appliquée) et son caractère systématique peut être utilisé comme un indicateur du caractère structurellement périphérique de la culture scientifique locale, en particulier dans les pays à fort développement scientifique d’Amérique latine, comme le Brésil, le Mexique ou l’Argentine (Kreimer & Thomas, 2006 ; Schwartzman, 2001).

64Une conclusion importante est que le processus étudié a mis en évidence l’existence d’une division internationale du travail scientifique où les laboratoires centraux imposent leurs programmes de recherche en fonction à la fois des relations qu’ils entretiennent avec leur propre société (avec des forts liens industriels) et des thèmes dominants au sein des disciplines ou spécialités scientifiques internationales. De leur côté, les chercheurs les plus intégrés dans les contextes périphériques agissent souvent comme des « sous‑traitants » des groupes scientifiques hégémoniques.

  • 20 Vingt propositions lors du premier appel et trente lors du second.
  • 21 DNDI : https://dndi.org/

65Dans le cas de la recherche sur la maladie de Chagas, la preuve la plus évidente de ce processus est l’énorme quantité d’articles publiés dans des revues de référence internationale par les chercheurs qui travaillent localement sur le Chagas. En outre, ces chercheurs ont publié une bonne part de leurs articles en co‑signature avec des chercheurs ou des groupes des pays « centraux ». Ceci se produit alors que le développement de médicaments ou d’autres moyens de lutte contre la maladie est pratiquement inexistant, malgré une rhétorique publique axée sur la maladie de Chagas en tant que problème social et en tant que problème scientifique. Pourtant, récemment, la DNDI, organisation internationale qui travaille à la production de médicaments « oubliés » par les laboratoires pharmaceutiques, a ouvert deux concours pour financer le développement de médicaments destinés à traiter la maladie de Chagas (ainsi que deux autres maladies) : si elle a reçu plus de 50 propositions20, une seule émanait d’un laboratoire latino‑américain de recherche scientifique (du Venezuela)21.

66Nous avons fait référence, en début de notre article, à la croyance généralisée en la capacité des connaissances scientifiques à améliorer les conditions de vie de la population d’Amérique latine. Nous observons, cependant, à travers la reconstruction historique de l’émergence et du développement d’un problème social – et sa formulation en termes d’objet de connaissance dans un contexte périphérique – que des mécanismes, contingents et structuraux, limitent les capacités de ces sociétés à tirer profit localement de la connaissance qu’elles‑mêmes produisent et financent. L’analyse montre des jeux d’acteurs et des logiques qui paraissent convergents dans la définition et dans les manières d’aborder la question, mais cachent en réalité une dynamique tendant à perpétuer le problème social, puisque chacun des acteurs, en fonction de sa propre légitimité et de sa capacité de reproduction dans ses champs spécifiques, transforme l’opération sur la maladie en un exercice rhétorique. C’est ainsi qu’on échoue à apporter des solutions significatives pour le traitement de la maladie.

67En ce sens, l’une des significations de l’étude que nous venons de présenter s’inscrit dans le projet, sans doute ambitieux, de récupérer le caractère critique des sciences sociales pour éclairer quelques aspects peu visibles de la dynamique de nos sociétés. Ainsi, en mettant en évidence la logique sous-jacente aux discours et aux interventions publiques des acteurs impliqués dans la production et l’usage social des connaissances, nous essayons de doter d’une plus grande visibilité ces problèmes qui, après être restés cachés par des croyances enracinées dans le sens commun, semblent difficiles à modifier.

Les auteurs tiennent à remercier le soutien du Programme de Recherche sur les Maladies Tropicales (TDR) de l’OMS, ainsi que de l’Agence Nationale de Promotion de la Science et la Technologie, Argentine.

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Notes

1 Par exemple, le « Plan National Pluriannuel de Science et de Technologie 2000-2002 » argentin se propose « de promouvoir le développement d’une ample et solide base scientifique et technologique pour répondre aux besoins du secteur productif et aux nécessités éducatives, sociales des diverses régions du pays » (SECyT, 2002). Le « Programme Spécial de Science et de Technologie 2001-2006 » mexicain affirme que « la science et la technologie déterminent de plus en plus le niveau de bien‑être de la population. La génération et l’application de la connaissance scientifique et technologique sont fondamentales pour résoudre les problèmes importants de la société » (CONACYT, 2002). En Bolivie, il est considéré que « la recherche et l’innovation contribuent non seulement à la croissance économique en renforçant les capacités productives et compétitives, principalement dans les petites et moyennes entreprises, mais aussi à l’équité sociale, par la création d’emplois nouveaux, plus productifs et mieux rémunérés, ainsi qu’à des améliorations dans l’éducation et la santé » (Vice‑ministère de l’Éducation Supérieure, de la Science et de la Technologie, Direction générale de la Science et de la Technologie, 2004).

2 En guise d’exemple, on peut consulter Vessuri (1983), Cueto (1989), Benchimol (1994), Arvanitis (1996), Gómez Buendía et al. (1997), Kreimer (1999), Casas (2001), Obregón (2002).

3 Voir, par exemple, Vessuri (1995), Arvanitis (1996b), Sutz (1996), Casas (2001), Vaccarezza et Zabala (2002), Kreimer et Thomas (2006).

4 Selon l’Institut National de Parasitologie. Cependant, il convient de préciser que ces données sont des estimations puisqu’il n’existe pas de chiffres actualisés permettant d’avoir une connaissance précise sur l’épidémie actuelle.

5 Voir DNDI (Drugs for Neglected Diseases Initiative): https://dndi.org/

6 Notamment Gusfield (1981). Restivo (1988) est certainement parmi les critiques les plus explicites sur ce point :“… modem science is a social problem because it is part of modern society, which itself is a social problem. I turn next to a discussion of what I mean by the term ‘social problem’ and why I consider modern science and modern society social problems” (p. 208). Voir également Fujimura (1988).

7 Comme nous l’avons déjà signalé plus là-haut, dans le cas de la maladie de Chagas, l’une des caractéristiques du problème est, précisément, le manque d’intérêt commercial que représente le développement de nouveaux médicaments pour les laboratoires pharmaceutiques.

8 Dans d’autres maladies, comme le Sida, les associations de malades ont joué un rôle essentiel tant dans l’affectation de ressources que dans la définition des traitements considérés comme désirables. Dans le cas de la maladie de Chagas, l’incapacité d’articulation des malades peut être pensée comme une conséquence de l’ignorance de la condition d’infecté, d’un côté, et des volontés de dénier cet état pour éviter les discriminations qu’il implique.

9 Selon Bijker, « les groupes sociaux pertinents ne voient pas simplement différents aspects d’un artefact. Les sens attribués par un groupe social définissent l’artefact. Il y a autant d’artefacts que de groupes sociaux pertinents. Il n’y a pas d’artefact qui ne soit pas constitué par des groupes sociaux pertinents » (Bijker, 1995). Le concept de « flexibilité interprétative » a été créé pour rendre compte de cette multiplicité.

10 Les italiques sont les nôtres. Si la position extrême d’auteurs comme Latour est difficile à accepter, quand il note que les hybrides sont le produit des interactions entre humains et non-humains, il est certain que le problème en question est pertinent. Voir Barbier R. et Trépos J.‑Y. (2007). Humains et non-humains : un bilan d’étape de la sociologie des collectifs. Revue d’Anthropologie des Connaissances, 1(1), 35-58. https://journals.openedition.org/rac/20690.

11 Les « ranchos » sont les maisons rurales pauvres, faites de brique crue et de paille.

12 Entre autres, Chagas a gagné en 1912 le prix Schaudinn octroyé tous les quatre ans par l’Institut de Maladies Tropicales de Hambourg pour le meilleur travail en parasitologie et médecine tropicale. Par ailleurs, son nom a été proposé aux prix Nobel 1913 et 1920, même s’il n’a jamais obtenu la distinction. Voir Coutinho (1999).

13 À la 9ème réunion de la Société argentine de Pathologie de 1935, 35 cas sont présentés et, pour 1939, le Mepra avait déjà rapporté 1232 cas ; depuis, d’autres foyers ont été rapportés au Brésil.

14 Non seulement Carrillo était originaire de Santiago del Estero, province à fort taux d’endémicité, mais il avait aussi travaillé à l’Institut de Clinique Chirurgicale du professeur Arce (lequel a poussé la création du Mepra), où il avait connu Salvador Mazza.

15 Sous-famille d’insectes hémiptères (punaises), dont 139 espèces sont des vecteurs potentiels du parasite responsable de la maladie de Chagas, en particulier les espèces Triatoma infestans et Rhodnius prolixus (vinchuca en Argentine) habituées à vivre avec les êtres humains.

16 Intégration par une cellule d’un message d’origine extracellulaire.

17 Parodi est revenu, quelques années après avoir travaillé à San Martin, à l’Institut Leloir où il passe ensuite l’essentiel de sa vie scientifique.

18 En Argentine, les principaux chercheurs participant au projet correspondent au groupe de Charles Frasch à l’IIB‑UNGS, ex-chercheur de la Fondation Campomar et actuellement à l’Université du San Martin, et au groupe de Mariano Levín, appartenant à l’ingebi.

19 Le réseau créé autour de ce groupe inclut des groupes de l’Université de l’Illinois, du CDC aux États‑Unis, de l’Ingebi et de l’Institut Fatala Chaben en Argentine, de l’IRD français, du Programme National de Contrôle de Vecteurs du ministère de la Santé et l’appui économique de l’Uba, de l’Agence de la Science et de la Technique d’Argentine, de National Institute of Health (NIH) et de la National Science Foundation (NSF) des États‑Unis.

20 Vingt propositions lors du premier appel et trente lors du second.

21 DNDI : https://dndi.org/

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Distribution des groupes de recherche, en Argentine en 2004, travaillant sur la maladie de Chagas en fonction du domaine de recherche.
Crédits Source : graphe établi à partir des données venant des Organismes de Promotion Scientifique et des Universités argentines.
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/18702/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 57k
Titre Figure 2 – Publications des chercheurs argentins dans le SCI (1995-2005), selon l’orientation thématique
Crédits Source : établi par Pablo Kreimer et Juan Pablo Zabala.
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/18702/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 62k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pablo Kreimer et Juan Pablo Zabala, « Quelle connaissance et pour qui ? »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 2-3 | 2008, mis en ligne le 01 décembre 2008, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rac/18702 ; DOI : https://doi.org/10.3917/rac.005.0413

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Auteurs

Pablo Kreimer

Professeur de sociologie à l’Université nationale de Quilmes (Argentine), chercheur du Conseil National de Recherche Scientifique (CONICET) et directeur de l’Institut d’Études Sociales des Sciences et des Technologies (Buenos Aires). Il dirige la revue REDES, Revista de Estudios Sociales de la Ciencia, ainsi que la collection « Ciencia, tecnología y sociedad » chez Quilmes. Ses recherches portent sur l’utilité sociale des connaissances scientifiques, sur l’histoire et traditions des domaines scientifiques et sur les rapports « centre-périphérie » dans la science contemporaine. Il a publié récemment Ciencia y periferia. Nacimiento, muerte y resurrección de la biología molecular (EUDEBA, 2007), Producción y uso social de conocimientos. Estudios de sociología de la ciencia y la tecnología en América Latina (UNQ, 2004), L’universel et le contexte dans la recherche scientifique (PUS, 1999), ainsi qu’une centaine d’articles dans des revues spécialisées.
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-6737-8556

Adresse : Instituto de Estudios Sociales de la Ciencia y la tecnología Universidad Nacional de Quilmes Solis 1067 (1078) – AR-Buenos Aires, Argentine
Courriel : pkreimer[at]unq.edu.ar

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Juan Pablo Zabala

Chercheur assistant du Conseil National de Recherche Scientifique (CONICET) à l’Institut d’Études Sociales des Sciences et des Technologies (Buenos Aires). Il a soutenu une thèse sur l’histoire des aspects sociaux et scientifiques de la maladie de Chagas en Argentine et travaille actuellement sur l’histoire des problèmes de santé publique en rapport avec la production locale et internationale des connaissances scientifiques. Il a publié (avec Leonardo Vaccarezza) La construcción de la utilidad social de la biotecnología (UNQ, 2002).

Adresse : Instituto de Estudios Sociales de la Ciencia y la tecnología Universidad Nacional de Quilmes Solis 1067 (1078) AR-Buenos Aires, Argentine
Courriel : jpzeta[at]unq.edu.ar

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